Tout est une question de traduction

Karine Ponties

« J’ai la sensation que quelle que soit sa forme, l’écriture provient toujours du corps, d’où le besoin de créer des liens en travaillant avec des individus qui contiennent chacun une écriture. Des écritures individuelles au flair animal qui essayent de traduire, donc de réécrire des langages existants ; de sons, de mots, de gestes, de couleurs et des excès du monde qui font irruption, de matières… ; des matières premières à transformer. Pour traduire, réécrire, non pas nous dans le monde, mais plutôt le monde en nous, comme des êtres vivants parmi d’autres êtres vivants. L’individu dans cette tentative de traduction, avec une certaine impuissance, est fragmenté et à découvert, car ce qu’il contient n’est pas linéaire, ce sont des histoires-oxygène, sans véritable narration linéaire, de détails, de codes et de jeu des événements. C’est donc en cherchant dans ce corps à corps, chaque détail, toutes les possibilités de ce corps que l’on pousse ses limites jusqu’au point où il livre la faille, la faille où l’on peut se lover, où le corps se délivre de ses frontières, de ses exaspérations. Le détail devient prétexte à explorer, à sublimer et l’action transfigure la banalité du geste en cet univers absurde qui nous interroge sur la finalité même de l’acte, sa gratuité, sa grandeur, sa perversion, sa subversion. L’individu est agité par une conscience nomade où il ne sait pas où l’aventure commence et où elle finit.

Plusieurs combats solitaires reliés s’exacerbent ; encore dans des corps à corps, dans un déchaînement des contraires, d’envols et de piétinements, par intermittence, avec des élans, des échappements, des signaux, comme horizon une vertigineuse complexité, et toujours cette impuissance dans l’acte de traduire.

C’est une impuissance réelle car une grande difficulté à traduire dans le premier sens du terme, déchiffrer pour se comprendre, pour partager, par Amour. Amour de l’Homme qui est un être magnifique, parfois imprévisible, mais épuisant surtout pour lui-même, d’où l’envie de donner à voir tout cela, non pas dans l’annulation des formes existantes mais en les transformant, les transfigurant, les transposant.

Des corps percés et traversés par le monde se défont, apparaissent, disparaissent, se donnent, se retirent, se transforment, se déforment, se trouvent, se perdent, s’abandonnent, se rigidifient, se remplissent, se vident, descendent, montent, se déploient, éclatent, rayonnent, palissent, rechutent et s’élèvent.

On jongle toujours entre le minuscule et le grandiose, la peur et l’habitude ; en montrant parfois l’extrême pour aborder la normalité, et cherchant l’essence, guidé par l’intuition.

Traduire en jouant, en jouant avec les langues, en cherchant un rythme organique et en essayant de faire tomber les frontières à l’intérieur de soi, pour explorer l’univers du territoire de ‘l’entre’, sans jamais fixer le sens, restant ouvert à chaque imaginaire, fuyant, fragile on ne peut plus. Passionnément et détaché, en se retirant en même temps, en suspens (suspension), envahi par le doute, toujours en questionnant plus fortement le fait d’être sur scène.

Comment traduire ces révélations uniques de chaque instant, ou d’oeuvres, ou de personnes sur lesquelles on a vraiment trébuché, comment l’interpréter sur une scène avec un corps qui est déjà une scène en soi ? Comment traduire ce rapport physique, de corps à corps avec le monde, les autres, les mots, les gestes, qui par la traduction produisent d’autres idées ? »

Karine PONTIES