Le point de départ de la pièce est l’univers extravagant de la dessinatrice Beatrice Alemagna, des histoires aux détails d’orfèvre où le corps est toujours malmené, voire morcelé. Après Holeulone et Humus vertebra, les correspondances que Karine Ponties noue avec le regard singulier des dessinateurs se prolongent, cette fois-ci sans l’intervention directe de l’artiste dans le processus de création.
Au lieu de supposer que l’émerveillement est le propre des enfants et des ingénus, une émotion agréable et passagère dont on se défait en comprenant l’objet qui l’a provoquée ou en revenant aux choses sérieuses, il faudrait peut-être inviter à penser qu’il n’y a rien de plus adulte ni de plus sérieux que de s’émerveiller. Soutenir ainsi que l’émerveillement n’est pas une simple émotion, mais une capacité de l’être ; qu’il nous ouvre au monde, révèle heureusement notre ignorance et nous offre une connaissance à la fois plus libre et plus intime.
Il est un espace où l’imaginaire prend sa source, un endroit où les formes et couleurs prennent naissance ; le lieu d’une enfance. Ce lieu, Lamali Lokta, c’est l’enfance de l’Art, le premier trait, l’ébauche qui met à portée un horizon sans limite ; un pays tantôt prolifique, tantôt aride, posté en porte-à-faux entre réalité et fable.
Un monde de papier, support sensible de l’humanité et de son double imaginaire, compagnon de son histoire, matière ductile qui se laisse aller aux exigences de la création et résiste aux assauts du temps, relie sans compter les deux côtés du miroir.
Et d’un premier trait jailli, cinq figures adviennent, échappent à leur fiction, tombant de la page sur le sol. Cinq personnages en quête d’eux-mêmes, inadaptés, en faille avec la réalité, qui tentent de se recomposer, de se rassembler.
Lamali Lokta dit ce premier trait et la course folle, l’arrêt brutal, le retour à soi et de nouveau l’inspiration, cette machine qui d’un élan irrémédiable vient, à travers nous, déplier l’univers.
« Un geste profond, déterminé, solide, qui tourne et retourne les couches des gestes et des raisons de les faire. La danse de la chorégraphe Karine Ponties refuse la gratuité esthétique et exacerbe des histoires souvent bizarres sans les illustrer lourdement. (…) Assurément une expédition à entreprendre en biffant tous les clichés. » Rosita BOISSEAU, Télérama / Sortir, février 2012