Danse
Mi non sabir
Mouvement social
Théâtre Benoît XII. Les Hivernales d’Avignon
Dans la même soirée consacrée à la jeune danse tchèque, se croisaient deux spectacles de mérites inégaux. Karine Pontiès livre un petit bijou d’humour parfaitement réalisé, Petra Hauerova un solo technoïde pesant.
La vie chorégraphique pragoise est marquée, du moins en ce qui concerne les formes les plus récentes, par l’influence du festival Tanec. C’est sa directrice, l’énergique Yvona Kreuzmanova qui a favorisé la rencontre entre la franco-belge Karine Pontiès (française travaillant en Belgique) et un quatuor de danseurs pragois.
Le mouvement qui génère une dramaturgie par lui-même
En quelques semaines, ces artistes ont trouvé non seulement une façon de travailler mais aussi le ton de la gestuelle de cette chorégraphe singulière adapté à une certaine atmosphère tchèque. « Mi non sabir » fonctionne comme une machinerie. Il y en a un qui fait un mouvement, ce qui change le fonctionnement d’un autre, lequel dérange les deux autres. Ainsi le tourbillon de bras de l’un est évité par l’autre, mais qui se trouve précipité dans les bras d’un troisième qui butte sur le quatrième… Qui que soit l’un, l’autre ou le troisième et même le quatrième.
La pièce ne fonctionne pas sur les ressorts d’une psychologie ou d’une situation, mais sur le mouvement qui génère une dramaturgie par lui-même. Ainsi quand les quatre protagonistes sont assis les uns sur les autres et sur un banc, le déplacement d’un membre quelconque provoque la nécessité de déplacer une tête, un bras, une main, n’importe quoi qui toujours gêne. Impavide, les quatre sont à la fois un seul mouvement pris successivement et quatre entités bien embarrassées d’être toujours en lien avec les trois autres. Même si ce n’est pas l’intention de la chorégraphe, il est assez tentant de voir dans cette gêne à être à la fois avec les autres et sans eux, une métaphore drolatique de la situation tchèque.
Remarquable réussite
Les changements politiques y ont, en une dizaine d’années, fait éclater le corps social contraignant (un seul mouvement pour tous), mais au prix d’une solitude de chacun (éclatement du mouvement en quatre). Cette chorégraphe discrète, mais particulièrement inspirée fonctionne selon une logique qui évoque ce que Petr Kràl écrit à propos des burlesques du cinéma muet « le héro burlesque peut devenir un objet pur et simple, [qui est] comme doué d’une vie propre»(1) … Remarquable réussite.
On ne peut en dire autant de l’autre travail. Petra Hauerova a eu beau être révélée par la plateforme de la danse Tchèque 2004, organisée toujours par Yvona Kreuzmanova, le résultat n’est pas enthousiasmant. Jeu de lumière laser et son extrême ne font pas une pièce. Cela évoque les films où l’on voit Loïc Fuller en version modernisée et kitch sans plus d’intérêt sinon de faire du bruit.
Mi non sabir (Karine Pontiès) et Night Moth (Petra Hauerova). Théâtre Benoît XII. Les Hivernales d’Avignon. Danseurs : Radek Macak, Pierre Nadaud, Rostislav Srom, Jaro Vinarsky (Mi non sabir)
(1) Petr Kràl, Le burlesque ou la morale de la tarte à la crème. Ed. Ramsay, poche 1984, p104. Ce mode de fonctionnement correspond aussi parfaitement à Josef Nadj dont Karine Pontiès est, esthétiquement, assez proche.