Gérard Mayen, Programme du Carré St-Vincent 2009/10

Gérard Mayen

« Où est le fond, où est la forme ? Cette question vaut pour la danse particulièrement. Le décor fait-il fond ? La présence humaine y suffit-elle à produire forme ? Ou le fond est-il fait d’une neutralité de présence, où tout geste survenant vaudrait forme ? Autre hypothèse : les gestes du quotidien banal nourriraient-ils le fond, la forme résidant alors dans le seul geste dessiné en fonction d’une intention d’écriture ? Etc. Holeulone, pièce avec laquelle Karine Ponties a remporté le prix du spectacle de l’année décerné par la critique belge francophone, pourrait s’aborder à travers ces questions.

L’action conduite par ses deux interprètes masculins se développe sur un dispositif compact, installé au cœur du plateau. L’espace s’y trouve condensé, tassé, exacerbé, le long d’un plan frontal en pente, et en terrasse à son sommet, percé de trappes. Si bien que le mouvement tient de la glissade, de la virevolte, de la chute, pour des danseurs dont les figures sont tour à tour escamotées, sectionnées, gommées – comme possédées, endiablées, manipulées dans un hors-champ souterrain qui échappe.

De surcroît, cette machine à sortilèges est léchée, baignée, noyée, par un jeu d’images en mouvement, magnifiquement orchestrées par Thierry Van Hasselt. La conjugaison de ces paramètres tend à une dilution onirique, sur une cartographie mouvante, avec brouillage des plans de vision. Tels des Sisyphe, les danseurs s’obstinent dans ce piège énigmatique, insectes mis en boîte sous des regards d’entomologistes.

Une relation gémellaire, voire schizophrénique, les voit agrippés, imbriqués, démantibulés. Leur duo de confrontation sensuelle, de fougue et de perte, creuse la déchirure, taquine l’espièglerie, ou clame le défi, dans un jeu permanent de métamorphoses et de déformations des apparences. Karine Ponties fait vibrer la corde aiguë d’un transport onirique, sans rien céder aux sirènes du tout-venant des artifices technologiques. »

Gérard MAYEN