Au tendre (source pour Brucelles)

Françoise Charron.

(…) Notre cerveau, d’abord reptilien.

Car nos corps sont aussi des bêtes, des bêtes anciennes chargées de la mémoire intemporelle des gènes.

(…) Ces bêtes ne vivent que de tendresse, de la tendresse qui, parfois coule de nos regards, de maîtres et de maîtresses.

Ce sont des bêtes profondes, des bêtes fondements. Elles nous tiennent dans l’espace. Elles nous donnent du temps (…). Elles sont pour nous cette relation première sur laquelle modeler toutes les autres. Nos corps, compagnes et compagnons de fond, par qui tout survient.

(…) Elles sont cette part de nous-mêmes qui ne nous appartient pas vraiment, que pourtant nous sentons nôtre, qui, vivante, vit sans avoir besoin de nos commandes, tout en combattant pour nous à chaque instant la peau forteresse, et ses monocytes réparateurs, le mucus fixateur et les larmes désinfectantes, les croûtes défensives et les plaquettes cicatrisantes, les globules chasseurs et les caillots protecteurs, sans compter les anticorps, ces fins empoisonneurs. même au plus propre, nos bêtes sont foyer douillet pour moisissures, champignons et bactéries de toutes sortes.

(…) Et pourquoi cette impression que nos bêtes s’arrêtent au cou. Comme si le corps n’avait pas de tête ou, plutôt, comme si la tête avec tous ses trous n’était pas corps.

Une question d’étagement, de redressement peut-être.

Du nez au sol, au nez dans le vent. Un mouvement qui nous a fait perdre le chef et chasser les reptiles dans les viscères. Pauvre caverne cérébrale ouverte à tous vents, oscillant comme elle peut au bout de sa colonne (…).

(…) Et les bêtes que nous sommes ont dans les yeux, tout au fond, presque toujours camouflé ou voilé, le désir poignant de la tendresse du geste que parfois nous fait le maître, la maîtresse, de ces autres bêtes que l’on aime tant.